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Sur la table, au milieu des ouvrages féministes, L’infanticide, Collectif. C’est un court livre paru chez un petit éditeur. La préface en explique l’intention, née d’un énième procès mettant en cause l’ignoble folie de la mère. Il faut lever le tabou sur ces événements et déplier les multiples questions qui gênent, plutôt que de s’en dédouaner par des condamnations faciles. En ouverture, le témoignage poignant d’une femme incarne en quelques pages les enfants qui s’enchaînent tous les douze mois et l’extrême solitude, l’emprise brutale du mari et le vertigineux vide de paroles, l’impossibilité du refus et le psychiatre qui renvoie à la docilité domestique, les rumeurs du voisinage et la vision intolérable d’un avenir de grossesses se succédant à l’infini, la répétition des avortements mais que faire de ceux qui échappent et naissent quand même alors qu’on n’en peut plus ? Les brefs textes qui suivent exposent et dénoncent les motifs structurels, ceux qui rendent possible cet impensable. Pamphlet à charge contre une société où ces choses-là non seulement arrivent mais sont à la charge de la mère. Louable et digne effort de ces auteurs qu’on imagine des femmes, militantes et universitaires. Car on n’en sait rien, de qui elles sont. On a beau vérifier, page par page, incrédule. Aucun texte n’est signé, préface pas plus que chapitres. Aucun des membres du collectif – lui-même anonyme – n’est désigné, le témoignage est simplement daté. Les seuls noms que contient cet objet figurent dans la bibliographie. Etrange effet de cette absence totale d’identification dans un ouvrage qui veut révéler les non-dits. On suppose l’intention respectueuse et modeste de laisser les individualités à l’arrière-plan. Au contraire, cette invisibilité trouble et crée le doute. Faudrait-il encore se cacher quand on prend la parole sur ce sujet, alors même qu’on revendique de le faire exister ?