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Mamie Suzon a dédié ses mémoires à la tenace intransigeance de sa petite-fille. J’y pense, j’y pense, a-t-elle répondu des mois durant à mon insistance. Ces récits familiaux mille fois entendus au fil des années, dont ne me restaient que la musique et le plaisir des détails, il y avait urgence à les conserver. Elle n’était pas éternelle. Voilà, m’a-t-elle tendu un jour un tas de feuillets manuscrits intitulés mémoires. J’ai plongé dans sa verve et dans une enfance de misères et d’amitiés bienfaisantes, la mère aigrie de souffrances, la cousine adorée, la solitude de la petite fille au sanatorium, la bonté des Sœurs. J’ai plaidé pour la suite, sans ébranler son refus de raconter la vie adulte. Trop de malheur, je n’y reviendrai pas. L’absence de rature ne m’est apparue que plus tard. Douze pages tracées d’une traite et sans remords. Elle y avait pensé, en effet.