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Mon autostoppeur prie. Il m’a demandé la permission, juste après s’être installé sur le siège passager pour faire la route jusqu’à Calama. Je n’ai pas compris immédiatement, hors contexte j’avais oublié ce que signifiait rezar. Il pose les mains à plat sur ses genoux, les lève à hauteur du menton et enfin les tourne vers le sol, je perçois sa concentration. Du coin de l’œil, je devine le léger mouvement de tête vers la gauche qui semble indiquer la fin de la séquence. Parfois, il en enchaîne plusieurs d’affilée. Ensuite, il reprend la conversation là où nous l’avons laissée. Les premières fois, je me laissais surprendre et ma dernière question restait en suspens, le temps de. Maintenant, l’échange est calibré, une ou deux questions-réponses, pas plus. Suffisamment pour s’informer. Il est turc, sa fille de 8 ans vit à Antofogasta, lui s’est installé dans plusieurs villes du Nord du Chili depuis deux ans, il cherche du travail maintenant qu’il a quitté son emploi de guide pour un tour operator. La subtile sensation d’incohérence dans ses propos tient-elle à ces hachures du dialogue ? A sa demande abrupte de savoir si je suis du signe des Gémeaux ? Passée l’étrangeté, s’installe un rythme presque idéal. Pendant qu’il prie, je regarde le désert rose pâle qui défile, dans un silence imposé, et l’interruption répétée de nos échanges leur évite de devenir des banalités. Pour une conversation d’autoroute, ce n’est pas si mal.